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Medjez el bab 1960 à nos jours (6)

FRÈRE- BOU -TASSA :
Les êtres humains ont un bout de chemin à parcourir ensemble .Durant leur enfance ils pensent de la même façon parlent le même langage jouent les mêmes jeux ont les mêmes ambitions , quand ils deviennent jeunes chacun prend son chemin et choisit sa rive pour aboutir enfin au même port qui est la mort .
Notre bonhomme a raté son enfance il a pris volontiers un chemin qui mène nulle part .Il est un marginal au sens vrai du terme au même titre que les autres marginaux qui ont vécu à Medjez el bab tel que Khrouchtchev,Kilani ,cinquième et autres.Vraiment c'est bizarre la ville de Medjez est connue par ces marginaux,nous n'avons ni poètes ni écrivains,ni artistes ni ministres,vraiment rien et même moins que rien
Quand il a atteint l'âge adulte les aiguilles de l'horloge ont tourné à l'envers et il s'est trouvé dans l'incapacité de suivre le rythme infernal de ce sale monde ,avec ses contraintes et ses lois pourries,il a choisi un autre mode vie propre à lui,une vie simple,terne,vide,creuse,fermée sans âme qui vive à part lui, la misère, la solitude,le silence et l'alcool.
Froid comme un serpent venimeux comme une vipère,il habitait seul un coin isolé,ténébreux de souk el barrani (place du souk actuel à Medjez el bab ) sans amour, sans famille ,sans maison ,sans feu pour se réchauffer. Le temps passe dans la douleur comme une blessure qui saigne,comme une cicatrice profonde . Il aime le silence immobile qui dérange .Dans l'intérieur de sa tète un brouillard des mots et des questions sans réponses . Rien n'est important pour lui car sa vie a cessé depuis longtemps,depuis qu'il a oublié ses parents,ses soixante ans de merde et de misère,il n'avait jamais connu d'amour ni de passions.
Il en a marre de cette vie,il n'attend rien de personne,son but principal c'est de chasser sa maudite âme de son faible corps squelettique,alors il passe tout son temps à boire de l'alcool car selon lui tous les vins ont les mêmes goûts,il n'y a aucune différence entre le vin rouge le vin blanc, le vin rosée, le vin mousseux, le vin sucré les liqueurs et les muscats .Il boit comme une éponge pour oublier ces emmerdements .L'alcool lui fait perdre la tête et lui fait vivre dans un autre monde réconfortant et sans problèmes .Pour rentrer dans cet état second il n'y a pas mieux que l'alcool éthylique (à brûler) qui est un produit bon marché et efficace et rapide .L'alcool brûle ces lèvres et ces viscères avant de brûler ses méninges .Il circule dans ces veines,soufflant le feu comme un dragon enragé, détruisant dans son chemin les globules rouges et blancs pour atteindre sa tête et massacrer les quelques neurones qui survivent encore et qui sont d'ailleurs d'aucune utilités
Il a tout perdu,sa jeunesse,sa santé,son passé,son présent et son avenir;il n'a retenu que sa dignité , son orgueil et sa correction,il n'a jamais tendu la main,il n'a jamais demandé l'aumône . Chaque matin avec une gueule de bois il se lève de bonheur sans réveil avec le soleil, sans bruit sans angoisse,les paupières lourdes,gonflées ,pesantes ,les cheveux en bataillon , un courant d'air dans sa tête,il se dirige les regards baissés un pas en avant et deux en arrière vers l'abattoir de la ville pour travailler comme un nègre exécutant de sales besognes et en guise de récompense on lui donne des abats et des tripes qu'il emmène au centre ville pour les vendre près du marché de la ville pour quelques millimes . Avec cette somme dérisoire il achète une bouteille d'alcool à brûler qu'il cache soigneusement sous ses aisselles et prend le chemin de retour,traînant une silhouette osseuse,sa natte de cheveux grise surmontée d'un absurde bonnet les yeux fixés au sol les épaules voûtés,comme il se sente exposé aux regards . Il remontât la rue retourna à droite puis à gauche et traverse la rue en titubant le regard impalpable,impersonnel,glacé,ignorant les remarques déplacées des gens qui s'attablent en dehors du café Brahim el Gharbi avec un sourire hésitant et craintif sur ses lèvres;il se parlait tout haut parce que le silence lui est insupportable .
Il faut être rude comme un mulet et ruse comme un diable pour avoir vécu ainsi pendant toutes sa vie,cette misère,cette crasse,cette solitude,cette désespérance il les partage avec deux autres alcooliques qui sont ni mort ni vivant , qui crèvent en silence sans trop de problèmes,constamment saouls comme des bêtes .
Cette bande d'alcoolique a perdu son identité mais pas sa dignité elle est déracinée , silencieuse renfermée folle de solitude,plongeant parfois dans un univers de méfiance de haine et de colère.

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bravo si Mostafa, c'est vraiment un article qui nous fait plonger directement dans une époque que , nous les jeunes, nous n'avion aucune idée ou aucune information sur ce que, jadis, formait le vécu de nos aînés. Merci encore une fois pour ce pure régal d'émotion chargé d'histoire.